Après une année 2020 tourmentée par l’épidémie de Covid et ses conséquences, l’heure est venue de se projeter dans le futur pour envisager la copropriété de demain, celle de 2050. Danielle Dubrac, élue présidente de l’UNIS en juin dernier, nous fait part de sa vision. Rencontre.
Une amplification de la gestion digitalisée des immeubles
Dans le contexte actuel, comment se déroule votre mandat de présidente de l’UNIS ?
Je m’inscris dans la continuité des mandatures précédentes, en prenant forcément en compte les évolutions et le contexte actuel, sanitaire et économique, puisque je suis arrivée en pleine épidémie de Covid. A ce titre, la situation confirme la transformation de nos métiers et de nos bâtiments vers le numérique. Avec le confinement, nous avons été obligés de télé-travailler, de procéder à des vidéos expertises, d’organiser des visio-conférences et des assemblées générales à distance. Ce n’est bien sûr pas récent mais cela s’est accéléré avec le contexte.
Cette période vous semble-t-elle préfigurer ce que pourrait être la copropriété en 2050 ?
Imaginer la copropriété en 2050 est certainement plus facile dans un contexte dans lequel il a fallu s’habituer très vite à un autre mode de fonctionnement. Le secteur de la construction et de l’aménagement, très affecté par cette crise sanitaire, doit à mon avis retenir deux leçons. Primo, nous pouvons être en crise économique du jour au lendemain. Deuxio, tout ce qui est environnemental devient vraiment essentiel. Résultat, il faut désormais adopter une vraie approche urbanistique et sociétale de transition écologique et énergétique. Mais surtout, je crois sincèrement que désormais, avant toute construction, il va falloir partir des besoins des habitants et ensuite concevoir l’habitation en fonction de leurs nouvelles attentes. Et en plus de cela, il va falloir gérer l’immeuble de façon différente.
De quelle manière ?
Depuis 55 ans, le statut des copropriétés s’est doté de nombreuses normes qui se sont empilées. Désormais, il va falloir prévoir et planifier. Avant tout, en 2050, je suis convaincue que les immeubles seront complètement digitalisés, grâce au BIM. La copropriété de demain, c’est la dématérialisation. Et cela ne concernera pas que les actes notariés ou les permis de construire. Nous aurons notre bâtiment sur informatique et pourront entretenir, réparer, anticiper tous les aspects de la vie de l’immeuble.
L’avenir des syndics résiderait-il exclusivement dans la digitalisation de leurs activités ?
Tout ce que l’on voit dans les évolutions de nos textes vers une délégation de vote vers les organes opérationnels de gouvernance, le conseil syndical ou le syndic, est en mouvement. Même si l’intelligence artificielle se développe, si la notion d’administrateur connecté s’amplifie, il faudra toujours de l’humain en face de l’humain, à la fois pour le bien-être des gens, faire passer le message et les mobiliser. L’administrateur de bien devra toujours partager les informations, comme il le fait aujourd’hui. Il faudra qu’il sache comment coopérer, entretenir les relations entre les individus, mieux les comprendre, avoir une relation de qualité. Et cela signifie qu’il devra maitriser, au-delà de ses compétences réglementaires et digitales, des compétences collaboratives et relationnelles.
Comment voyez-vous évoluer les copropriétés d’ici trente ans ?
Je suis sûre que la valeur verte sera devenue une chose ordinaire. Les copropriétés disposeront notamment d’un agenda beaucoup plus clair sur la rénovation énergétique, avec des financements mieux ciblés. Plus largement, la production et la conception des logements vont être repensées.
Les impacts de la COVID dans nos rapports à l’habitat
Vers quelles transformations l’habitat s’oriente-t-il ?
Comme évoqué plus haut, les aspirations et les demandes de services des habitants vont devenir le préalable à tout projet. L’habitat participatif va se développer. Déjà, les attentes en matière de services se multiplient, peut-être avec des pièces à vivre communes, des terrasses communes et des jardins partagés. C’est aussi pour cela qu’il faut que l’architecture soit hybride et durable. A mon avis, il faut renoncer à la spécialisation des projets et des biens immobiliers. A cause du contexte COVID, la transformation du travail avec des tiers-lieux ou du télétravail va conduire à créer des espaces communs, y compris dans les immeubles, de façon à répondre aussi à la question des transports. Les habitants vont vouloir raccourcir la distance travail-domicile, surtout si le lieu de travail devient à mi ou à trois quarts de temps à domicile ! Il va également falloir renouveler le tissu existant, faire de la mixité d’activités, et donc concevoir des bâtiments modulaires et flexibles, avec des bureaux qui peuvent facilement devenir des logements. Je crois beaucoup à l’équilibre emploi-habitat. On parle également beaucoup d’habitat intergénérationnel, voire de co-living, avec de nouvelles solidarités. A cela s’ajoute une meilleure prise en compte du parcours résidentiel de l’occupant, de locataire à primo-accédant et ainsi de suite. On produira des logements intermédiaires par rapport à la valeur d’un loyer ou d’un remboursement. Et ce sont à toutes ces nouvelles façons d’habiter que le gestionnaire devra pouvoir répondre, en étant à la fois coach, chef d’orchestre et médiateur.
Le métier de syndic va donc devoir radicalement évoluer d’ici 2050 ?
Il s’est déjà accéléré avec toutes les solutions digitales qui nous aident à la fois pour les états des lieux et bientôt pour les plans pluriannuels de travaux. Aux matières apprises comme le droit, le juridique et la comptabilité, il faudra adjoindre des « soft skills », des compétences transverses, pour savoir mieux collaborer, mieux communiquer, s’adapter à une situation de crise, dans un lieu de décision comme la copropriété. A l’UNIS, nous avons mis en place les universités de la copropriété pour cette raison. En tant que syndicat, nous prônons la professionnalisation de toute la chaîne immobilière : aujourd’hui, ce qui pèche, c’est de croire que l’on peut gérer bénévolement, de gré à gré. Je crois beaucoup à la formation professionnelle.
Quelle est le principal frein au changement aujourd’hui, selon vous ?
Nous devons raisonner en filière, de la conception à la production et à la gestion du bien. Nous fonctionnons trop en silo actuellement. Il faut une approche entre les organisations professionnelles, les maitres d’ouvrages, publics ou privés, les architectes, les diagnostiqueurs et les gestionnaires. Et les utilisateurs doivent être en face de ceux qui conçoivent. Une organisation professionnelle comme la nôtre peut construire cette approche avec des lignes directrices de définition, selon les types de chantier, avec différents critères pour le futur usage. Nous devons être tous impliqués dans la création de ces nouveaux habitats qui seront conçus en fonction des besoins et de la typologie des habitants. Je vois une révolution des usages et des services. Et il faut utiliser tous les équipements intelligents pour que les gens puissent anticiper leurs difficultés techniques et assurer la conservation de leur patrimoine, qui constitue, ne l’oublions pas, l’essentiel.